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Annonce du Comité de la confiance, de la réconciliation et de l’accès à la justice de la Cour du Banc de la Reine par le juge en chef Joyal, à l’occasion de l’admission au Barreau de 2017

Nous entamons maintenant les derniers segments du programme de ce matin. Cependant, avant de conclure cette séance très spéciale de la Cour du Banc de la Reine, permettez-moi de prendre quelques minutes pour dire aux nouveaux membres du Barreau que je sais que pour la plupart d’entre vous, les quatre dernières années ont été une période longue et ardue. D’abord, les exigences de l’école de droit, suivies par un an de stage, avec tous les problèmes et les incertitudes que cela amène. Ce matin, vous avez toutes les raisons, avec vos parents, conjoints et partenaires, non seulement de vous réjouir, mais aussi de ressentir de la fierté – et oui, peut-être même un peu de suffisance. Vous devriez vous féliciter de ce que vous avez accompli. Vous avez mérité le droit de vous joindre à une profession très honorable.

Comme j’y ai fait allusion plus tôt, cette cérémonie est un rite de passage. Des cérémonies semblables se déroulent depuis des centaines d’années dans des territoires dont les traditions ne diffèrent pas tant de celles que nous avons observées ce matin. Cette cérémonie souligne le fait que l’exercice du droit est une profession distincte de tous les autres métiers.

Vous devez toujours vous rappeler et croire que chacun et chacune d’entre vous allez déterminer la pertinence de votre fonction d’avocat ou d’avocate. Votre manière de façonner cette fonction et cette pertinence influera sans doute sur le niveau de sens et de satisfaction que votre travail vous apportera. Quelle que soit votre fonction juridique – et elle pourrait changer au cours des prochaines années – je prédis avec confiance que notre système juridique et la société canadienne en général continueront à vous lancer deux défis très spécifiques et persistants qui cachent en fait des occasions. La première occasion consiste à optimiser l’accès à la justice pour toute la population manitobaine. La seconde concerne ce qui sera le projet à long terme de la réconciliation avec nos concitoyens et concitoyennes autochtones.

Pour ce qui est de cette première occasion, comme nouveaux membres de la profession en cette année 2017, vous continuerez sans doute à entendre souvent l’expression « accès à la justice ». Partout au Canada, les juges en chef utilisent cette expression plus que jamais, non seulement comme un objectif, mais aussi comme un étalon servant à déterminer la mesure dans laquelle les tribunaux et la profession juridique réussissent à servir le public, que ce soit en matière criminelle, civile ou familiale.

Vous l’apprendrez et le réapprendrez : « l’accès à la justice » n’est pas un concept vide. En fait, en tant que nouveaux membres de la profession juridique, vous aurez la responsabilité spéciale de ne pas la laisser devenir un concept vide. En effet, vous entrez dans la profession juridique à un moment où vous apprendrez rapidement que le système de justice du Manitoba est maintenant truffé de nouvelles règles, directives de pratique, procédures et décisions de jurisprudence qui vous orienteront de façon pas très subtile vers une approche professionnelle de la proportionnalité. Par conséquent, il vous incombera autant qu’aux membres expérimentés de la profession, au nom de l’accès à la justice et peu importe votre fonction, votre organisation ou cabinet et les domaines d’exercice que vous choisirez, de vous efforcer de fournir à vos clients et aux parties intéressées un service proportionnel au problème à régler; un service relativement plus prompt, moins coûteux et moins complexe. Si vous pouvez au moins tenter de faire cela, vous ferez partie d’un mouvement gratifiant qui vise plus que jamais à réaliser l’idéal et les objectifs associés à l’expression « accès à la justice ».

Pourtant, pendant que nous ambitionnons de réaliser ces importants objectifs qui rendraient le système de justice moins complexe, moins coûteux et plus efficace, ces objectifs classiques associés à « l’accès à la justice » ne règleront pas à eux seuls les problèmes et les enjeux encore plus fondamentaux qui entourent la relation du système juridique avec les citoyens et citoyennes autochtones du Canada.

Ce qui m’amène à la seconde occasion que vous pourrez saisir en tant que nouveaux avocats. Je parlerai maintenant du projet à court et à long terme de la réconciliation.

Vous devenez membres de la profession juridique pendant la 150e année du Canada et à un moment unique de notre histoire. Depuis que nos ancêtres ont rencontré les peuples des Premières Nations du Canada, il n’a jamais existé une telle occasion d’établir une relation nouvelle et plus juste avec les peuples autochtones. À titre de membres d’une profession noble et de défendeurs des droits, vous devrez jouer un rôle important en définissant et en appuyant cette nouvelle relation. En tant que nouveaux membres de notre profession, vous pourrez et devrez jouer un rôle clé et apporter une nouvelle compréhension à notre réflexion juridique en vous informant, notamment sur la justice réparatrice et, de façon plus générale, sur les traditions autochtones. Lorsque vous les aurez obtenues, tenez pour acquis qu’on vous encourage à essayer d’intégrer cette nouvelle connaissance et cette nouvelle compréhension à vos actions et à votre défense féroce et intrépide des droits des clients autochtones et des enjeux autochtones.

Tout ce que je viens de mentionner ne s’applique pas seulement à vous à titre de nouveaux avocats. Cela relève de la responsabilité collective de tous les acteurs du système juridique. Il sera plus facile d’assumer cette responsabilité si nous nous rappelons notre histoire et la place importante et distinctive dans cette histoire de nos peuples des Premières Nations. Je soupçonne que le projet à long terme de la réconciliation serait plus difficile à réaliser sans la perspective de l’histoire et sans la connaissance du grief de l’Autochtone qui découle du sentiment que son rôle fondateur dans l’histoire a été oublié ou diminué.

Nous savons tous que l’histoire du Canada et du Manitoba est l’histoire des peuples fondateurs et des nouveaux arrivants. La profondeur de cette histoire, partagée ou non, a créé autrefois des problèmes, ainsi que des possibilités dont certaines ont été saisies mais bon nombre ont été manquées. Inutile de dire qu’en tant que Canadiens et Manitobains, nous avons tous une histoire. Pour certains, elle remonte plus loin. Je compte parmi mes propres ancêtres madame Marie Anne Gaboury, la première femme d’origine européenne à s’être rendue et installée dans ce qui est maintenant l’Ouest du Canada. Cela s’est passé il y a plus de 200 ans. Madame Gaboury peut prétendre à la célébrité pour une autre raison : elle était la grand-mère maternelle de Louis Riel. Pourtant, même si je suis fier de mes racines manitobaines, il faut les mettre en perspective. Mes racines historiques et, je présume, celles de la plupart d’entre vous paraissent chétives par rapport à celles des Manitobains et des Canadiens autochtones, qui remontent non pas à quelques générations ou à quelques siècles, mais à des millénaires. Bref, ce que je veux dire, c’est que nous, les acteurs du système de justice, avons besoin de la perspective du temps et de l’histoire pour pouvoir éviter de négliger ou de diminuer nos responsabilités envers les peuples autochtones du Canada, qui, malgré leur longue et riche histoire, sont exclus de notre système de justice depuis bien trop longtemps.

Le projet de la réconciliation commencera avec la confiance qui découlera de l’acceptation du principe que nous pouvons faire mieux. Elle viendra aussi de l’acceptation du fait dur mais objectif que dans des domaines difficiles, notamment le droit criminel et la protection de l’enfance, les Canadiens autochtones sont surreprésentés au sein du système de justice et que tout retard systémique qui les touche a un effet disproportionné sur eux.

Pour établir la confiance nécessaire et fondamentale en vue de la réconciliation, il faudra admettre que la surreprésentation que je viens de mentionner découle fréquemment de problèmes particuliers. Les acteurs du système de justice doivent comprendre que ces problèmes particuliers transcendent généralement les solutions classiques associées aux initiatives bien intentionnées d’accès à la justice.

Comme j’espère l’avoir exprimé clairement plus tôt, les responsabilités de la profession juridique en matière de réconciliation doivent être partagées. C’est pourquoi j’ai récemment annoncé à la Cour du Banc de la Reine la création d’un nouveau comité sur la confiance, la réconciliation et l’accès à la justice. Les travaux du nouveau comité seront guidés par l’urgence et la motivation qui sous-tendent les « appels à l’action » pertinents intégrés aux conclusions de la Commission de vérité et réconciliation.

En résumé, le nouveau comité aura pour mandat de traiter les obligations, les possibilités et les problèmes particuliers qui entourent présentement la relation de la Cour avec les Manitobains autochtones en cette ère de réconciliation.

Il faut considérer les mots choisis avec soin qui composent le nom du comité – « confiance », « réconciliation » et « accès à la justice » – comme étant symbiotiques. Ces mots signifient et combinent à la fois ce qui doit constituer les buts normatifs à long terme d’un dialogue basé sur la confiance et une réconciliation significative, avec les solutions pratiques à court terme qui règlent les problèmes systémiques immédiats touchant de façon disproportionnée les plaideurs des Premières Nations.

La nature du comité se fonde sur l’hypothèse simple qu’en l’absence d’un dialogue constant et authentique et d’une compréhension mutuelle basée sur la confiance, il serait difficile de franchir même les premiers pas vers la réconciliation. En outre, le comité est basé sur le principe voulant que la réconciliation, pour qu’elle se réalise, doit comprendre une analyse des suggestions et des solutions réparatrices particulières qui traitent spécifiquement les problèmes d’accès caractérisant la relation toujours incertaine qui existe entre le système de justice et les Canadiens autochtones.

Le comité entreprendra ses travaux en gardant à l’esprit les quatre piliers de son mandat.

Le premier pilier consistera en des initiatives visant à développer la confiance et la compréhension. Ces initiatives comprendront une consultation ciblée des communautés autochtones dans le but d’engager un dialogue mutuellement respectueux sur les questions de justice.

Le deuxième pilier prendra la forme de gestes posés au sein de la Cour par ses juges afin d’accroître parmi les acteurs judiciaires la sensibilisation et la compréhension à l’égard des possibilités et des défis culturels et juridiques liés à la réconciliation. Cette sensibilisation accrue des acteurs judiciaires sera favorisée par un dialogue constant entre les membres de la Cour, qui seront en mesure d’examiner les croyances et les connaissances actuelles concernant les problèmes historiques et contemporains auxquels sont confrontés les Canadiens autochtones. Pour dissiper toute crainte non fondée ou déplacée relative à une supposée tentative de « rééducation » des juges, il est entendu qu’on envisage par ce deuxième pilier de donner à la magistrature une occasion d’accroître volontairement sa capacité de compréhension interculturelle, d’empathie et de respect mutuel. Selon mon expérience, la plupart des juges ne fuient pas les occasions de ce genre.

Le troisième pilier est la détermination par le comité des initiatives spécifiques qui seront mises en œuvre. Certaines pourraient se réaliser sans effort. Certaines pourraient consister en de nouvelles façons d’utiliser le Legal Help Centre de Winnipeg, qui est maintenant reconnu et couronné de succès. Dans le cadre d’autres initiatives, on pourrait proposer des changements plus fondamentaux. Peu importe la nature des initiatives, il est entendu que dans le contexte de ce troisième pilier, le comité devra chercher des solutions concrètes et pratiques aux problèmes particuliers qui entravent l’accès des Premières Nations à la justice. Qu’il s’agisse d’aspects particuliers des tribunaux, d’une réforme systémique visant à atténuer l’effet disproportionné des retards sur les Manitobains autochtones ou encore de l’examen de projets pilotes concernant les solutions de justice réparatrice, le comité (en ce qui a trait à ce troisième pilier) aura toujours pour but de produire des résultats réels et reconnaissables.

Le quatrième pilier des travaux du comité concerne la nécessité de normaliser une certaine prévenance et une certaine vigilance afin que la Division générale et la Division de la famille de la Cour du Banc de la Reine fassent ce qu’elles peuvent dans leurs services judiciaires pour tenir compte des problèmes particuliers d’accès à la justice auxquels sont confrontés les Manitobains autochtones.

Comme vous pouvez le constater, la création du comité est un premier pas innovateur et enthousiasmant. Le défi sera de fixer des buts ambitieux tout en gérant les attentes et en sachant que le projet d’une réconciliation significative prendra du temps. La confiance et la compréhension sont organiques et s’adapteront mal au calendrier de tel ou tel tribunal ou juge en chef.

La réconciliation dans le contexte du système de justice ne se fera pas dans une seule province ou dans un seul tribunal. La réconciliation ne se fera pas non plus par la création d’un seul comité ou grâce à une seule initiative. Il faut éviter les raccourcis et se rappeler certains principes de base. Il n’y aura pas de confiance ni de compréhension si la franchise et la clarté ne sont pas au rendez-vous. À cet égard, il doit être clair et il ne faut jamais oublier que, aussi novateur, ouvert d’esprit et résolu que soit le travail du comité, il sera toujours entendu que le travail de réconciliation ne peut empêcher l’application de la règle de droit. De même, rien de ce que propose ou entreprend le comité ne peut être considéré de quelque façon que ce soit comme compromettant l’indépendance judiciaire en général ou, plus précisément, l’impartialité du processus décisionnel. Cela dit, il existe des raisons d’avoir bon espoir, voire d’être optimiste.

Alors voilà, mesdames et messieurs, les deux occasions persistantes mais transformatrices qui vous attendent en tant que nouveaux avocats. Au cours des prochaines années, dans le contexte de ces occasions liées aux problèmes de « l’accès à la justice » et de la « réconciliation », vous aurez vous-mêmes l’occasion de définir votre place dans cette profession et, de fait, la profession elle-même. Je me répète : attendez-vous à changer de fonction de temps à autre. Cependant, malgré cette évolution éventuelle de votre fonction professionnelle ou votre évolution personnelle, ne perdez jamais de vue la raison pour laquelle cette profession vous a attirés au départ. Parallèlement, n’ayez jamais peur de vous demander pourquoi vous continuez de choisir le droit. Idéalement, votre réponse à cette question précisera et confirmera votre engagement envers ce qui est, à son niveau le plus fondamental et enrichissant, une profession de service public.

En fin de compte, je vous invite à ne jamais oublier votre devoir envers vos clients, votre devoir envers vos collègues, votre devoir envers votre collectivité et, le dernier mais non le moindre, votre devoir envers vous-même. Respectez ce devoir, car vous vous devez rien de moins que l’équilibre caractérisant une vie bien vécue.

Enfin, je vous souhaite sincèrement, à tous et toutes, la réussite dans ce qui est une des professions les plus difficiles mais aussi les plus enrichissantes.

Avant de conclure, je souhaite remercier les membres du personnel de la Société du Barreau du Manitoba, qui, comme chaque année, ont travaillé avec tant de diligence pour organiser cette séance spéciale de la Cour et la réception qui suivra. Ils ont mis beaucoup de temps et d’énergie à rendre cet évènement spécial pour vous tous et toutes.

Je remercie également les représentants du personnel de la Cour du Banc de la Reine, qui ont accepté de contribuer bénévolement à l’organisation de la cérémonie et qui, comme d’habitude, ont accompli cette tâche admirablement.

Dans un moment, le greffier fermera la Cour. Après le chant du Ô Canada, nous vous invitons tous et toutes à la réception qui se tiendra dans le foyer du Concert Hall immédiatement après la fermeture de la Cour. Je vous remercie de votre attention.

Date de la dernière mise à jour des renseignements affichés sur cette page: 18 juin, 2021