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Chief Justice Speech - Child Protection Proceedings - December 2, 2016

OBSERVATIONS DU JUGE EN CHEF JOYAL

CONFÉRENCE SUR LA PROTECTION DE L’ENFANCE

LE 2 DÉCEMBRE 2016

 

Bon après-midi à toutes et à tous.

Je sais que les organisateurs ont préparé un ordre du jour exhaustif, bien rempli et à l’horaire serré, et serai donc bref, mais direct.

Il est lamentable et un peu incongru que les juges en chef de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba aient eu, au cours des 35 dernières années, relativement peu de contacts avec les avocats spécialisés en droit de la famille – sans parler de ceux voués à la protection de l’enfance. C’est donc avec plaisir et à dessein que je m’exprime devant vous aujourd’hui.

Vous toutes et tous ici présents êtes des professionnels très qualifiés, dévoués et passionnés assumant des rôles divers dans le processus que nous appelons commodément « instances relatives à la protection des enfants ». Bien au-delà de la stérilité juridique du terme, une telle « instance » a pour déclencheur un événement tragiquement humain et concret, essentiel et grave, qui est l’appréhension par l’État d’un enfant retiré à sa famille. À elle seule, cette mesure intrusive prise par l’État crée un impératif moral et constitutionnel. Un impératif moral et constitutionnel qui devrait concerner toute personne associée d’une manière ou d’une autre à un dossier de protection de l’enfant.

Le but de ma présence ici aujourd’hui est de confirmer ce que beaucoup d’entre vous savent déjà. Comme nous l’avons fait dans le domaine des instances criminelles et civiles, la Cour du Banc de la Reine du Manitoba a l’intention de présenter un nouveau modèle de fixation des dates et de traitement des affaires qui permettra de répondre précisément et efficacement au problème des retards dans les dossiers de protection de l’enfance. Les améliorations prévues, qui seront administrées par les conseillers-maîtres et les juges de la Cour du Banc de la Reine du Manitoba, comprennent l’établissement de délais décisionnels clairs et serrés pour les enfants pris en charge. Le modèle proposé, qui sera détaillé dans les semaines à venir, est le fruit de consultations et de discussions entre les membres de l’appareil judiciaire, les avocats, les représentants du système de services à l’enfant et à la famille, la Société du Barreau et l’Aide juridique.

À l’issue des diverses consultations auxquelles j’ai participé, je constate qu’il est clair pour tout le monde que le système actuel, globalement, et les délais de l’appareil judiciaire, plus précisément, doivent être améliorés de toute urgence. La frustration est partagée par tous les intervenants du système, et en particulier par les membres de l’appareil judiciaire. Toutefois, pour ce qui a trait à l’appareil judiciaire, quelle que soit notre frustration à l’égard du système, nous, les juges, ne pouvons pas adopter un rôle que la loi ne nous confère pas, et qui ne pourrait pas être soutenu par les ressources limitées à notre disposition.

Nous devons donc être clairs. Notre rôle judiciaire et les responsabilités connexes qui nous sont conférés par la loi consistent en trois obligations de base :

         Tout d’abord          - déterminer si un enfant a besoin de protection au moment de l’appréhension.

         En deuxième lieu     - déterminer si un enfant a besoin de protection au moment de l’audience.

         Troisièmement        - les ordonnances sont rendues dans l’intérêt supérieur de l’enfant.

Pour dire les choses simplement, nous ne nous acquittons pas assez rapidement des deux premières de ces responsabilités. Le fait que ces décisions à prendre en vertu de la loi soient prises tardivement signifie que nous échouons dans notre mission. Les choses doivent changer et elles changeront.

Autrement dit, on ne constatera plus de délai pouvant atteindre huit mois avant la présentation devant le conseiller-maître, ni de délai pouvant atteindre 12 à 14 mois pour obtenir une date de procès devant la Cour du Banc de la Reine.

Il faut bien comprendre que, une fois le nouveau modèle mis en œuvre, on s’attendra à ce que les affaires soient traitées par les conseillers-maîtres dans un délai de 60 jours. Si le renvoi d’une affaire devant la Cour du Banc de la Reine du Manitoba est nécessaire, une fois ce renvoi effectué, la Cour fixera les dates du procès dans un délai de trois à six mois.

De plus, nous devons tous comprendre que, conformément à l’avis qui sera remis, parallèlement à la fixation des dates de procès dans ce qui sera la liste des affaires en première comparution de la Cour du Banc de la Reine, une conférence préparatoire au procès sera organisée. Cette conférence préparatoire aura lieu environ 30 jours avant la date prévue du procès. Si un parent omet d’assister à la conférence préparatoire ou est absent à la première et seule comparution prévue dans la liste des affaires en première comparution du Banc de la Reine à partir de laquelle le procès sera fixé, cela peut provoquer la transformation de l’instance en processus judiciaire accéléré.

Je peux également annoncer que la présentation de mémoires au juge d’instruction lors de la première comparution devant la Cour du Banc de la Reine du Manitoba sera obligatoire. Il existera une obligation similaire de présenter un mémoire mis à jour pour la conférence préparatoire qui, comme je l’ai dit, aura lieu 30 jours avant le procès prévu.

À l’évidence, ces échéances exigeront une détermination et une préparation rigoureuse et nouvelle de la part de chacun au sein du système. Mes collègues et moi-même, ainsi que les conseillers-maîtres, serons heureux de vous expliquer dans les semaines à venir les détails de cette initiative.

Les délais actuellement enregistrés dans ce que nous appelons affectueusement « le système » sont imputables à de nombreuses causes, chacun ayant sa part de responsabilité à cet égard. Cependant, une chose est claire. Trop souvent, les délais sont ainsi expliqués et justifiés au nom de la « détention provisoire en vue d’une réadaptation ». Même si chaque personne qui travaille à une instance relative à la protection d’un enfant espère dans la mesure du possible faciliter la réunification des familles et fait tout son possible pour y parvenir, à l’avenir, les retards imputés à ce facteur ne seront plus justifiés ni expliqués ainsi. Autrement dit, lorsqu’un enfant est appréhendé et retiré de sa famille, la Cour du Banc de la Reine du Manitoba ne peut pas être et ne sera pas utilisée comme salle d’attente aux fins de réadaptation pour les services de protection de l’enfance et les avocats des parents qui souhaiteraient éviter des décisions selon lesquelles les juges sont moralement et constitutionnellement habilités à décider d’une appréhension.

Les retards actuels dans le traitement des enfants pris en charge constituent une véritable crise. Paradoxalement, comme toute autre crise, elle ouvre des possibilités pour toutes et tous, des possibilités de changements.

À un niveau de base, les changements proposés sont l’occasion de renforcer la conformité de notre approche avec l’article 41 de la Loi sur les services à l’enfant et à la famille. Ces changements nous donnent également à tous (l’appareil judiciaire, le corps juridique et le système de services à l’enfant et à la famille) la possibilité de modifier notre mode de pensée et nos approches actuelles. De fait, ces changements peuvent nous forcer à nous ouvrir davantage à la possibilité de procédures et de mécanismes de règlement non judiciaires qui permettront de mieux garantir que seules les affaires nécessitant une intervention de la cour se régleront par cette voie. Bien sûr, les changements donnent également à certains d’entre vous la possibilité de modifier leur façon d’exercer dans le domaine de la protection de l’enfance. Je mentionnerai par exemple le dégroupage des services juridiques et l’usage de mandats limités – des domaines pour lesquels la Société du Barreau a récemment donné des orientations. La collaboration avec la Société du Barreau dans ce domaine constitue une nouvelle occasion pour certains d’entre vous dans la profession de choisir de relever les défis anciens et nouveaux liés aux pratiques en protection de l’enfance. Il convient également de noter que les changements et les échéances connexes pourraient également rendre possibles, voire exiger, des procès plus ciblés et plus courts dans le domaine de la protection de l’enfance.

Pourtant, malgré toutes les promesses et les possibilités de taille découlant des changements annoncés, je dois le répéter : le nouveau modèle de fixation des dates de la Cour et le rôle de la Cour dans le jugement des affaires qu’elle doit trancher en vertu de la loi ne doivent pas être et ne seront pas retardés ou entravés par des questions liées aux services ou aux programmes de protection de l’enfance ni d’ailleurs par le programme de réadaptation des parents. En fin de compte, c’est l’enfant pris en charge qui attend que les services de protection de l’enfance et les parents agissent. Les délais actuels sont intolérables et inacceptables.

La date d’entrée en vigueur de ce nouveau modèle de traitement des affaires sera annoncée d’ici peu. Ce modèle doit prendre effet dès que possible, mais seulement lorsque le système et chacun seront prêts à l’appliquer et en mesure de le faire, pour garantir qu’il ait toutes les chances de réussir.

Après toutes ces précisions, s’il reste des doutes quels qu’ils soient concernant la détermination de la Cour, sachez que j’ai annoncé au juge en chef adjoint Rivoalen que, une fois ce nouveau modèle mis en œuvre, je mettrai à la disposition de la Division de la famille deux juges différents de la Division générale, chaque semaine pendant un an. Ces deux juges seront affectés aux audiences liées à la protection de l’enfance exclusivement.

À l’évidence, mesdames et messieurs, le modèle proposé sera dans les premiers temps un chantier évolutif. Des changements et des ajustements seront inévitables. Ces changements nécessaires devraient être perçus pour ce qu’ils seront : le début d’un processus graduel qui, au fil du temps, renforcera l’accessibilité et la réactivité de la Cour.

Je conclurai ainsi :

Malgré leur ton pressant, mes propos cet après-midi ne devraient pas être entendus comme une remontrance à l’égard de qui que ce soit. Je suis bien conscient des efforts et du dévouement dont font preuve tous les avocats spécialisés en droit de la famille. Mes observations aujourd’hui devraient plutôt être entendues comme un appel à l’action. Un appel à l’action qui, cependant, exigera et demandera à toutes et tous une attention particulière et un travail assidu dans les jours et mois à venir.

Je m’exprime également au nom du juge en chef adjoint Rivoalen en vous disant que nous nous réjouissons à la perspective de travailler avec vous tous.

Date de la dernière mise à jour des renseignements affichés sur cette page: 8 juin, 2021